© plaquette de la Ville de Paris
l'une d'entre vous me signifiait tout récemment sa lassitude - sinon sa colère - de voir notre ville croulant sous les poubelles.
j'y ai beaucoup repensé tu sais, je veux dire, depuis l'enseignante de pratique " de soin de soi " que je suis, pour ne pas dire " spirituelle " (toi comme moi, nous nous méfions de ce terme magnifique et galvaudé).
et depuis cette question du " point de vue " aussi, le Yoga étant à proprement parler un " point de vue " (Darsana) sur le monde qui aura sans doute bien évolué au fil du temps, mais c'est une autre histoire, disons d'autres points de vue...
du spectacle désolant de nos rues (à moins que ce ne soit celui de nos propres déchets ?), à l'expression d'une nécessité, celle de ceux qu'on applaudissait hier, de nous montrer le refus de ce qui leur sera réservé demain, " changer la focale " comme il en est question dans la pratique du Yoga ( concentrations, visualisations…), cela me permettra-t-il de regarder vraiment, voir ce " visage " qui m'oblige, à le considérer, depuis sa parole (son expression), à m'adresser à lui, à elle, à toi, à nous entendre quelque part ? Ou bien n'est-ce qu'un trope de plus de ce développement que l'on dit personnel et qui consiste à me rendre aveugle à la misère du monde, quand on veut on peut (...) tout cela sera vite incinéré, oublié, recyclé. Next. Sauf que si l'on y prête vraiment attention, que voyons-nous sinon des montagnes de sacs plastiques ? Comme si ce monde-poubelle que nous refilons aux prochaines générations nous faisait un clin d'œil : ironie de l'histoire : quelle façon simple de clore le débat sur les retraites, à venir 😔
il y a tant de colère dans nos rues. Dans notre " parlement "... et de toutes parts.
comment voir tout cela sans en être trop affecté·e ? Comment ne pas vouloir rentrer chez soi et ne plus y penser, débrancher (ou re-brancher sur Netflix) ?
mais devrais-je ne pas me sentir trop affecté·e ?
=> ce dilemme moral et politique est traité dans la Bhagavad Gītā (Ve-IIe s. avant J.-C.), un grand texte du Yoga sur le thème de l'engagement, donc du renoncement et du détachement, dont j’ai déjà parlé plusieurs fois dans ma Lettre de nouvelles : ici un échange éclairant à son sujet, entre l'indianiste Colette Poggi et le philosophe Fabrice Midal.
dans tous les cas, je ne pense pas qu'un·e prof. de Yoga en 2023 puisse proposer une réponse à la deuxième question sans outrepasser ses prérogatives, le risque de verser dans un prêchi-prêcha un peu facile façon new guru étant quelque chose que j'aimerais aussi éviter, pour l'avoir souvent trouvé pénible (puisque oui, je pourrais encore vous renvoyer directement à la lecture du Yoga Sutra et de ses Yama, clairement une éthique, mais est-ce que l'éthique est claire, elle ?)
pourtant, je sens bien qu'il y a quelque choses à en dire.
nos pratiques de Yoga, méditation (...) nous détendent, nous dénouent, nous apaisent, nous permettent de prendre du recul... Vous l'avez bien sûr expérimenté si vous pratiquez régulièrement. Tout cela a beaucoup de valeur. Notamment, lorsque nous avons à traverser la douleur, à titre personnel et - ou collectif, à quelque échelle. Mais, aussi, je pense très sincèrement que ces espaces que nous recréons en nous, par la voie du souffle conjointe au soin que nous portons à voir cet insaisissable sensible, ce présent qui nous agit, permettent l'émergence de nouveaux investissements de pensées, d'actions, depuis ce que nous creusons alors et qui est précieux : une forme d'hospitalité. Concept dynamique, puisque nous recevons et offrons l'hospitalité. Après une séance, comment le dire... je me sens à la fois ré-habitée, ancrée mais légère, comme accueillie en mon propre " corps-esprit " (pour dire vite), je m'y sens bien, je m'y sens mieux, je suis spacieuse et aérée… " je suis Cela " ? Partant, cette sensation biface : il y a une place pour moi dans ce monde, il y a de la place pour toi. Cela ne s'articule évidemment pas aussi simplement et sur ce mode par trop... binaire, disons que c'est l'expérience nue d'une spontanéité renouvelée que je ressens. Un supplément de place, un gain qui n'impose rien, d'ailleurs, une place, c'est aussi un vide qui nous attend, ou, pour le dire autrement, il s'agit d'une sensation d'ajustement, tout le contraire d'une fixation donc : l'assise n'est pas assignation. Précaire, par définition, l'ajustement se précise, pas après pas.
alors, " imaginer Sisyphe heureux " ? Peut-être. Dans tous les cas, ces espaces nous permettent d'imaginer encore, et encore, se figurer soi-même, autre. Dessiner les alternatives.
et, cet ajustement, quoi qu'on en dise (" on " étant l'industrie du Bien-être dans laquelle j'officie), nécessite par ailleurs, d'autres ajustements : éthiques, sociaux, politiques, amoureux, amicaux, familiaux, etc. Toute une chaîne d'ajustements que notre pratique peut rendre plus simples, clairs, moins grinçants, complémentaires, peut-être, moins violents, et, même, désirables parfois. Mais pas toujours. Voilà ce dont je pourrais témoigner aujourd'hui. Ne pas sous-estimer, ni surestimer nos pratiques. Ne pas faire du Yoga une idole. mais savourer combien, oui, sur la durée, la pratique se déploie, nous redéploie dans l'instant d'une joie qui n'est toujours qu'à deux pas de nos déceptions, colères (...) Sur le fil de la relation, vive, se laisser étonner, se laisser partager / -é·e
les espaces que nous créons sur nos coussins, nos tapis, à même nos articulations, en notre intimité, peuvent participer d'une meilleure santé de notre espace public, et de la possibilité de faire commun(s). C'est dans cet état d'esprit que j'ai conçu le Studiolo et développe mes activités de gymnosophie.
ici vous trouverez une petite vidéo de présentation que je viens de tourner en direction de celles et ceux qui recherchent un cours, n'hésitez donc pas à la partager ainsi que ce texte, autour de vous
un livre vient de paraître et peut nourrir votre réflexion aussi, synthétique et intelligent :
Zineb Fahsi,
éditions Textuel, 2023, 203 p.
© Koson, vers 1920-1930
Martin-pêcheur et fleur de lotus,
ukiyo-e, Japon
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